Focus sur … l’abbesse
En se basant sur la règle de saint Benoît, l’abbesse est la « mère » de la communauté[1]. La supérieure est à la fois l’épouse du Christ et la mère spirituelle d’une communauté. C’est une « vierge-mère » tout comme la Vierge Marie. En théorie, le pouvoir de l’abbesse se limite à sa communauté et au respect de la Règle, à laquelle elle ne doit pas contrevenir.
Les pouvoirs de l’abbesse
La supérieure se différencie du reste de la communauté par un titre, le port d’ornements distinctifs, le sceau, les égards qui lui sont dus, des avantages en nature. Les prérogatives de l’abbesse sont nombreuses. C’est une femme investie d’une position dominante sur la communauté. Elle doit conserver en permanence un droit de contrôle, d’orientation et de décision. Elle tient la première place au chœur du côté droit, elle donne les bénédictions, elle dirige l’office divin et le chapitre, elle donne les pénitences, elle nomme les officières et les renvoie, elle accorde les permissions. La supérieure joue un rôle spirituel important car elle peut désigner le confesseur de la communauté.
Au Moyen-Age, saint Thomas d’Aquin pense que l’abbesse est nécessaire dans une communauté féminine car il ne serait pas bon que les femmes soient dirigées directement par des hommes. Cette vision change en 1609 avec la conception nouvelle du jésuite espagnol Francisco Suarez. Celui-ci fonde le pouvoir des supérieurs religieux sur la volonté de leurs sujets. En obéissant à la règle, le religieux donne aux supérieurs le pouvoir de commander. Le pouvoir de la supérieure n’est pas de juridiction mais « dominatif » comme une mère de famille. Le pouvoir dominatif est inférieur, c’est un pouvoir privé, il ne procède pas du Christ par la médiation de l’Eglise. Cela exclut toute direction spirituelle et toute dispense des observances régulières. Mais le pouvoir dominatif est indépendant de la hiérarchie ecclésiastique. En droit, l’époque moderne est donc une période où les supérieures des communautés bénédictines et cisterciennes assistent à une dégradation progressive de leur pouvoir[2].
Comment devient-on abbesse à l’époque moderne ?
La supérieure est établie par la communauté, qui lui délègue le pouvoir de commander. L’abbesse est élue par la communauté selon trois modes : l’inspiration, le vote et le compromis. L’abbesse peut se désigner une coadjutrice qui lui succèdera après sa mort. C’est la formule la plus courante aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Canoniquement, le concile de Trente exige que l’abbesse ait quarante ans dont huit ans de profession et qu’elle soit de naissance légitime. Dans les faits, les dérogations sont nombreuses.
Officiellement les couvents de cisterciennes et de bénédictines échappent à la commende mais le roi propose la nomination des abbesses au pape. Un indult de 1531, renouvelé en 1535 puis en 1565 pour la France, la Bretagne, le Dauphiné et la Provence confère au roi de France le droit de nommer les abbesses des abbayes dites royales[3]. À l’époque moderne, on distingue ainsi les monastères à élection, les monastères à nomination royale et les monastères à supérieure triennale. En effet, la réforme des communautés de moniales au début du XVIIe siècle passe parfois par l’adoption de l’élection triennale. La mesure est censée renforce la liberté de la communauté et la légitimité de la supérieure. Une même personne peut néanmoins être réélue plusieurs fois, sans restriction. C’est le cas à l’abbaye de Tart et à Port-Royal par exemple. Pour les cisterciennes, l’abbesse élue doit être confirmée par le Père Immédiat ; l’abbesse nommée est confirmée par Bulle apostolique et par l’abbé de Cîteaux. À la différence des abbés commendataires, elles sont toutes religieuses et doivent devenir bénédictines ou cisterciennes si elles ne le sont pas déjà[4]. Il est possible de recourir à la justice séculière pour expulser une abbesse indigne.
[1]- D’après la Règle de saint Benoît, chapitre 2.
[2]- Sur le statut de la supérieure :Paulette L’HERMITE-LECLERCQ, « Les pouvoirs de la supérieure au Moyen-Age », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, des origines à nos jours, Actes du IIème colloque international du CERCOR (Poitiers, 29 sept-2 oct 1988), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1994 (CERCOR-Travaux et recherches), p. 165-185.
Jean DE LA CROIX BOUTON, « Les abbesses cisterciennes », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, opus cité, p. 187-192.
Colette FRIEDLANDER, ocso, « Les pouvoirs de la supérieure dans le cloître et dans le monde du Concile de Trente à nos jours », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, opus cité, p. 242.
[3]- Aux XVe et XVIe siècles, les élections d’abbesses donnent souvent lieu à des intrigues avec des doubles élections et des procès. Le recours à la nomination royale, censé couper court à ce genre de troubles, n’est pourtant pas infaillible. La candidate du roi peut ne pas être du goût de la communauté.
[4]- Armelle BONIS, Sylvie DECHAVANNE et Monique WABONT,« Introduction », dans Bernadette BARRIERE et Marie-Elisabeth HENNEAU dir. (et la collaboration d’Armelle BONIS, Sylvie DECHAVANNE et Monique WABONT), Cîteaux et les femmes, actes d'un colloque organisé en novembre 1998 par le service départemental d'archéologie du Val-d'oise et la Fondation Royaumont, Paris, Créaphis, 2001 (coll. Rencontres à Royaumont), p. 14.