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l’art et le portrait chez les jansénistes

Focus sur … l’art et le portrait chez les jansénistes

Les règles de l’image sont très strictes chez les jansénistes. La vraie image doit représenter un objet ou une personne tels qu’ils sont dans la réalité, sans avoir recours à l’imagination. L’image doit respecter la vérité de l’histoire, la vraisemblance et la bienséance. L’image doit être le reflet de la vérité, sans rien y ajouter ou y enlever. 

Le paradoxe de l’art janséniste

Dans sa synthèse sur L’esthétique janséniste, André Fontaine explique que, pour les jansénistes, l’art donne trop d’importance aux sens et peut donc détourner le regard de Dieu. La peinture, source de tromperie, peut entraver le dépouillement intérieur, selon la doctrine augustinienne. Pour les jansénistes, l’art n’est pas indispensable, il n’est admis que comme soutien et accompagnement à la prière. Le recueillement du fidèle ne doit pas être menacé par une quelconque émotion suscitée par l’œuvre d’art elle-même.

Cependant, André Fontaine note le paradoxe que constitue « l’art janséniste » qui développe ainsi une esthétique particulière, passant par-dessus le discours officiel. Pour André Fontaine, il y a un rapport entre la rigueur de la théologie janséniste et la rigueur de son art. Ce dernier se démarque par sa gravité, sa sobriété, sa sincérité, en bref, sa vérité. L’esthétique de la vérité est propre à exprimer le sentiment de piété et de vertu des personnages dépeints[1]. Cette analyse est partagée par Bernard Dorival[2].

L’art janséniste est un art élaboré par et pour des jansénistes, dans le but particulier de servir leur cause ou leurs idées théologiques. Ainsi, un réseau artistique se développe au XVIIe siècle et travaille pour le compte de jansénistes, traduisant en images la théologie augustinienne. Les images jansénistes ont un caractère presque ordinaire par leur nombre et leur diffusion au XVIIIe siècle[3]La propagande janséniste s’appuie sur deux méthodes visuelles :

  • la distorsion de la réalité historique par la volonté du commanditaire de l’œuvre, ce qui peut donner une image biaisée, 
  • la campagne d’opinion qui utilise toutes les ressources visuelles pour diffuser un message ou une information. Dans ce cas, ce sont le nombre, la rhétorique graphique et la répétition des images produites qui importent.

Le portrait selon les jansénistes

Dans la pensée janséniste, par modestie, un chrétien ne peut que répugner à laisser peindre ou sculpter les traits de son visage[4]. Ainsi, le courant janséniste désapprouve le portrait, il est seulement une image du corps corrompu, il est donc un signe de péché. Pour Pierre Nicole, le fait de se laisser peindre pour une personne religieuse n’est « qu’un excès d’amour-propre et de vanité » même s’il ne s’agit que de tableaux destinés à sa famille ou ses amis[5]. Pierre Nicole compare les religieuses aux saintes femmes, filles et veuves des premiers siècles du christianisme qui menaient une « vie si cachée au monde » avec le « désir de ne point voir et de n’être point vues ». Il rappelle l’obligation contenue dans la première Epitre de saint Paul aux Corinthiens : « que la femme doit porter sur sa tête à cause des Anges, la marque de la puissance que l’homme a sur elle »[6]. Nicole insiste lourdement sur l’obligation de se voiler et de se cacher le visage. 

Pour Nicole, la religieuse doit se résoudre « de ne se faire jamais peindre, puisque l’on est femme, puisque l’on est fille d’Adam ». C’est une forme de misogynie qui ressort de cette dernière remarque de Nicole puisqu’il considère que c’est le fait d’être une femme, objet négligeable et perverti, qui interdit tout portrait, et non pas le fait d’être religieuse. Même la sainteté féminine ne trouve pas grâce à ses yeux et ne mérite pas d’être représentée. Le désir de passer à la postérité via un portrait est tout aussi coupable. Il suffit que la mémoire de la religieuse soit gravée dans le cœur de ceux qui l’aiment.

Cependant, la position de Nicole se révèle marginale à Port-Royal où domine une conception plus traditionnelle du portrait en tant que mémorial de la valeur exemplaire de la personne représentée. Cinq supérieures de Port-Royal, quatre religieuses et deux novices sont représentées dans des tableaux et gravures sous la forme de portrait[7]. Dans cette optique, le portrait est considéré comme un moyen d’accéder à la personne défunte comme si elle était toujours vivante. C’est la démonstration des qualités du modèle que l’on retient. Le portrait se doit d’être efficace et de porter le spectateur à l’imitation des vertus qu’ont exercées les personnes peintes. On peut voir là une contradiction entre un discours textuel censé représenter la vision « officielle » des jansénistes quant au portrait et une pratique bien différente.   

 


[1]- André FONTAINE, « L’esthétique janséniste », dans Revue de l’Art ancien et moderne, n137, août 1908, p. 141-155.

[2]- Bernard DORIVAL, « Le Jansénisme et l’art français », Chroniques de Port-Royal, 3, 1952. 

[3]- Christine GOUZI, L'art et le jansénisme au XVIIIe siècle, Nolin, 2007, coll. Univers Port-Royal, p. 25-28.

[4]- André HALLAYS, « L’art et Port-Royal », dans Augustin GAZIER, Port-Royal au XVIIe siècle. Images et portraits, avec des notes historiques et iconographiques, Paris, Hachette, 1906.

[5]- Pierre NICOLE, Essais de morale, chez Guillaume Desprez et J. Desessartz, Paris, 1715, t. VIII, p. 239-261, Lettre XCIII « Sur les Portraits, & si l’on doit se laisser peindre ». 

Pierre NICOLE, Lettre sur les portraits, cité dans Edouard POMMIER, Théorie du portrait, de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998, (coll. Bibliothèque des Histoires), p. 272.

[6]- Première Epitre aux Corinthiens, 11, 1-16.

[7]- Les abbesses Angélique Arnauld, Catherine-Agnès de Saint-Paul Arnauld, Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly, Marie des Anges Suireau, la prieure Claude Louise du Mesnil de Courtiaux, les religieuses Catherine de Sainte-Suzanne, Jacqueline de Sainte-Euphémie Pascal, Christine Briquet et une religieuse anonyme, les novices Claude Baudran et Marguerite Périer, ainsi qu’une très jeune pensionnaire anonyme.