Focus sur … la clôture
Le mot clôture désigne l’espace réservé, fermé par un obstacle matériel, dans lequel il n’est pas permis aux étrangers de pénétrer. Des parties du monastère, telles que l’église, des jardins ou la sacristie peuvent être hors clôture. La clôture implique deux obligations : les moniales doivent éviter de voir des personnes du monde mais ne doivent pas non plus se montrer.
La législation canonique sur le clôture
Le code de droit canon (cn.602) réclame que la clôture matérielle soit disposée de telle façon que les moniales ne soient pas vues depuis l’extérieur du couvent. Une stricte clôture active signifie une claustration absolue et permanente d’une religieuse à l’intérieur de son couvent. La clôture passive implique l’exclusion totale de tous les étrangers au monastère. Ainsi la moniale ne doit pas voir ni être vue. La clôture des moniales rejoint les thèmes du cellier secret, de la source scellée du Cantique des cantiques. La clôture est mal vécue et devient prison en cas de vocation forcée ou de vide spirituel. Le monastère s’apparente alors à un univers carcéral où seule la force de la foi permet de persévérer[1]. Si à l’époque moderne la clôture est une réalité effective, il n’en a pas toujours été ainsi.
Au Moyen-Age, un débat entre souplesse et rigidité de la clôture
Dans les premiers siècles du monachisme, les auteurs de règles de vie oscillent entre la clôture stricte des moniales et une permissivité relative. Pour saint Jérôme, la faiblesse du sexe féminin explique que l’on appuie davantage sur la claustration des moniales que sur celle des moines. D’autres règles sont plus souples avec la clôture, comme la règle de saint Aurélien d’Arles où les religieuses peuvent sortir avec la permission de l’abbesse et la règle de saint Donat où les hommes et les visites de parents sont autorisés dans la clôture.
Le concile d’Orléans en 549 distingue deux types de monastères, ceux avec clôture et ceux où les sorties sont permises. Le concile de Rome en 650 défend l’entrée aux hommes. Le concile de Frioul en 796 interdit les sorties aux moniales, même sous prétexte de dévotion. Les pèlerinages sont donc interdits. Cependant, la clôture n’est qu’un conseil de vie jusqu’en 1298 où le pape Boniface VIII entend l’imposer à tous par le décret Periculoso.
Au Moyen-Age, les sorties sont donc fréquentes. La recherche d’appuis à l’extérieur pour la sauvegarde de la communauté est un cas de sortie communément admis. Les moniales font la visite de leurs domaines. Le cas de danger mortel oblige de nombreuses communautés à chercher refuge dans des places fortes, dans les villes ou au contraire dans les campagnes, chez leurs parents. Les moniales sortent aussi pour des visites familiales ou des pèlerinages. Les entrées dans le couvent sont aussi nombreuses. Les moniales accordent l’hospitalité aux pèlerins. Les donateurs, les bienfaiteurs, les membres de la famille entrent dans la clôture. Les serviteurs travaillent dans le monastère.
Le Chapitre général de Cîteaux de 1220 stipule que tout monastère qui n’accepte pas la clôture sera exclu de l’ordre[2]. Chez les cisterciennes, la clôture est ainsi instituée dès l’origine. Les malades communient à la grille. Au parloir, les religieuses cisterciennes ne sont pas visibles et le dialogue se fait de part et d’autre d’une fenêtre. Dans les faits, l’abbesse et la cellérière sont autorisées à sortir « pour affaire » mais toujours accompagnées. Le respect de la clôture est vu comme un acte héroïque et hautement méritant. Cela donne lieu au topos suivant, bien connu de l’hagiographie : lors d’un incendie, les nonnes refusent de sortir pour ne pas rompre la clôture, et le feu épargne le couvent[3].
Une législation renforcée et une pratique plus stricte à l’époque moderne
À l’époque moderne, la clôture devient une fin en soi. L’Eglise et la société ont alors une conception bien arrêtée de la femme : être fragile et vulnérable aux tentations, la clôture est jugée indispensable pour préserver sa vertu. La clôture équivaut au sacrifice suprême de renonciation au passé et au monde de la religieuse. Le Canon 5 de la 25ème session du concile de Trente indique qu’ « il ne sera permis à aucune moniale de sortir de son monastère après sa profession, même pour peu de temps, et sous quelque prétexte que ce soit, si ce n’est pour une cause légitime, approuvée par l’évêque ; et ce nonobstant tous indults et privilèges. Il ne sera permis à personne, de quelle naissance, condition, sexe, âge que ce soit, de pénétrer dans l’enclos d’aucun monastère, sans la permission donnée par écrit, de l’évêque ou du supérieur, sous peine d’excommunication à encourir par le fait même. ». L’une des obsessions de la Réforme catholique est donc la clôture la plus stricte possible pour les moniales.
Une succession de textes restreint la clôture pour tous les monastères de moniales, y compris ceux dont les traditions étaient plus lâches comme les bénédictines et les cisterciennes. La Constitution Circa Pastoralis du 29 mai 1566 du pape Pie V lie clôture papale et vœux solennels. Les moniales doivent toutes s’assujettir aux deux. Celles qui ne veulent pas peuvent continuer à professer des vœux simples mais ne peuvent pas recevoir de novices. Le pape Pie V dans sa Constitution Decori en 1570 frappe d’excommunication les moniales en rupture de clôture et ceux qui les accueillent. Il précise les causes légitimes de sortie, à savoir l’incendie et l’épidémie. Grégoire XIII publie par trois fois des textes sur la clôture, Deo sacris en 1572, Ubi gratiae en 1572 et Dubiis en 1581. Les chapitres généraux de Cîteaux adhèrent au concept de la plus stricte clôture en 1573 et 1584.
[1]- Sur la clôture : Elisabeth LOPEZ, « Théorie et pratique de la clôture à l’époque moderne et contemporaine », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, des origines à nos jours, Actes du IIème colloque international du CERCOR (Poitiers, 29 sept-2 oct 1988), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1994 (CERCOR-Travaux et recherches).
Penelope D. JOHNSON, « La théorie de la clôture et l’activité réelle des moniales françaises de XIe au XIIIe siècle », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, opus cité.
Jean LECLERCQ (osb), « Théorie et pratique de la clôture au Moyen-Age », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, ibidem.
[2]- Sur la clôture chez les cisterciennes : Jean DE LA CROIX BOUTON, Les moniales cisterciennes, abbaye d’Aiguebelle, Grignan, 1986-1989, 4 vol., T. 3, p. 79, 82 et 85.
[3]- C’est le cas au prieuré de Marcigny. Lorsqu’un incendie se déclare en 1091, les moniales refusent de sortir. Hugues, archevêque de Lyon et légat du pape, ordonne à l’incendie de s’arrêter et le miracle se produit. L’épisode est rapporté par Pierre le Vénérable dans son Livre des miracles.