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le livre, la lecture et l’écriture

Focus sur … le livre, la lecture et l’écriture

La Lectio divina est une méthode de prière qui consiste en un exercice de lecture spirituelle. En partant de la lecture d’un texte comme la Bible ou toute œuvre d’auteurs religieux, la prière se prolonge par une réflexion sur ce texte, continue par un dialogue avec Dieu puis se conclut par une écoute silencieuse de Dieu.

Les origines de la Lectio divina

La Lectio divina a été définie pour la première fois par Origène vers l’an 220. Il recommande de lire la Bible avec attention, constance et prière. Cette technique d’oraison est introduite en Occident par saint Ambroise au IVe siècle. Au VIe siècle, elle est mentionnée dans la Règle de saint Benoît. Saint Bernard de Clairvaux incite les cisterciens à s’y livrer[1]. Selon le Rituel cistercien, les moniales peuvent lire deux fois une demi-heure par jour[2].

Au Moyen-Age, les activités culturelles et artistiques ainsi que les études bibliques sont à l’honneur dans les monastères féminins. Saint Jérôme et saint Césaire obligent les moniales à être lettrées[3]. Au Moyen-Age, la moniale est considérée comme une lettrée, une femme instruite, intellectuellement au-dessus de ses contemporaines laïques[4]. De fait, la lecture occupe une grande place dans la vie monastique. Elle est indispensable pour l’office divin, elle s’impose au réfectoire pendant les temps de repas où une lectrice est désignée pour cet office. La lecture est aussi un exercice solitaire, valorisée en temps de Carême. Enfin, elle est préconisée pendant les temps de travail.  

La lecture n’est pas une fin en soi. Lire par curiosité ou simple plaisir est inconcevable et scandaleux. La lecture est nécessaire pour nourrir la foi et approfondir la vie spirituelle. Le livre est un prétexte à des élévations à Dieu et à la prière. Les lectures ne doivent pas être profanes. Le livre doit être approuvé par l’Eglise et ne doit pas faire l’objet de controverse. 

L’intellectualisation généralisée du monde monastique

A la fin du XVIe siècle puis aux XVIIe et XVIIIe siècles, le milieu monastique s’intellectualise fortement avec un essor général des bibliothèques communautaires et un intérêt croissant pour le livre[5]. La bibliothèque devient un lieu majeur du monastère, ce qui explique l’intérêt pour la production massive de livres religieux et pieux sur les religieux et religieuses, par des religieux et des religieuses. Ainsi, la bibliothèque de l’Abbaye-aux-Bois contient 30 000 volumes[6], tandis que l’abbaye de La Bénisson-Dieu en province n’en compte que 230 au XVIIIe siècle[7]. La représentation de religieuses avec des livres ou dans des livres est donc une tradition ancrée pour l’époque moderne.

Malgré cela, les religieuses sont jugées comme plus ignorantes des matières théologiques que les moines car elles ne lisent pas le latin en général et n’ont pas les moyens de rencontrer souvent des érudits à cause de la clôture. Une religieuse n’est donc pas jugée capable d’un travail intellectuel vaste, profond et logique. Les ecclésiastiques de l’époque moderne considèrent le plus souvent que les moniales sont en dessous des moines au niveau culturel et littéraire mais n’hésitent pas à leur recommander des ouvrages[8]

Les moniales à la conquête de leur propre histoire

Certaines religieuses bénédictines ou cistercienne ont contribué à l’édification ou la formation de leurs consœurs en produisant leurs propres textes souvent destinés à un usage privé[9]. Il existe dans les couvents des religieuses spécialisées, historiographes locales, chargées de la rédaction des notices nécrologiques ou des annales de la maison. Les moniales n’hésitent pas à se lancer dans de grands projets comme la rédaction de Constitutions et de commentaires de la Règle, une histoire de l’ordre ou de ses principales représentantes[10], l’édition de textes de direction, de correspondances ou de biographies spirituelles[11].

 


[1]- Sur la Lectio divina : Enzo BIANCHI, Pregare la parola. Introduzione allaLectio divina, Milan, 1973 et 1990. Trad. française : Prier la Parole. Une introduction à la Lectio divina, Abbaye de Bellefontaine, Bégrolles-en-Mauges, 1996, coll. Vie monastique, 15.

Guy-Marie OURY, Chercher Dieu dans sa Parole. La lectio divina, C.L.D., Chambray, 1982.

Sœur Ghislaine SALVAIL, s.j.s.h, Au carrefour des Ecritures : initiation à la Lectio divina, Montréal, Mediaspaul, et Paris, Editions Paulines, 1994.

[2]Rituel françois pour les religieuses de l’ordre de Cîteaux, Paris, 1715, p. 123.

[3]- Michel ROUCHE, « Les religieuses des origines au XIIIe siècle », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, des origines à nos jours, Actes du IIème colloque international du CERCOR (Poitiers, 29 sept-2 oct 1988), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1994 (CERCOR-Travaux et recherches), p. 24.  

[4]- Sur l’accès des femmes à la culture aux XVIIe et XVIIIe siècles (notamment les religieuses) : Linda TIMMERMANS, L'accès des femmes à la culture (1598-1715): un débat d'idées de Saint François de Sales à la Marquise de Lambert, Paris, Honoré Champion Éditeur, 1993.

[5]- Fabienne HENRYOT et Philippe MARTIN dir., Les femmes dans le cloître et la lecture (XVIIe-XIXe siècles), Paris, Edition Beauchesne, 2017.

[6]- Jean DE LA CROIX BOUTON, Les moniales cisterciennes, abbaye d’Aiguebelle, Grignan, 1986-1989, 4 vol. T. 2, p. 145.

[7]- Philippe PEYRON, Cisterciennes et Bernardines dans le nord-est du massif central (Auvergne, Forez, Lyonnais, Velay, Gévaudan) aux XVIIe et XVIIIsiècles, DEA, Université Lyon 2, 1993, p. 24.

[8]- Marcel BERNOS, « Les religieuses vues par leurs confesseurs (XVIIe-XVIIIe siècles) », dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde, des origines à nos jours, Actes du IIème colloque international du CERCOR (Poitiers, 29 sept-2 oct 1988), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1994 (CERCOR-Travaux et recherches), p. 415-416 et p. 428-430.

[9]- L’usage est commun à l’abbaye de Port-Royal par exemple où chaque supérieure lègue à la génération suivante des directives spirituelles sous forme de conférences ou de commentaires, de documents pratiques sur l’attitude à adopter en cas de persécution.

Autre exemple : Marie-Eléonore DE ROHAN (1628 - Paris, 8 avril 1681. Bénédictine le 12 avril 1646, abbesse de la Trinité de Caen en 1651 et de Malnoue en 1664), Paraphrase sur les sept psaumes de la pénitence, Paris, 1665.

[10]- C’est le cas de Jacqueline Boüette de Blémur, religieuse bénédictine, auteur des Eloges de plusieurs personnes illustres en pieté, de l'ordre de St Benoist (chez Louis Billaine, Paris, 1679) et de L’année bénédictine, ou les vies des saints de l’ordre de S. Benoist pour tous les jours de l’année (chez Louis Billaine, Paris, 1667-1673). 

[11]- Publication des Œuvres spirituelles de Louise de Ballon ainsi que d’une biographie de cette religieuse à l’initiative des Bernardines de Saint-Bernard.

Plus largement sur l’écriture de l’histoire d’un ordre ou d’une congrégation par ses membres : Écrire son histoire : les communautés régulières face à leur passé, actes du 5e colloque international du CERCOR, Saint-Etienne, 6-8 novembre 2002, Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2006 (Travaux et Recherches, 18).