Les images des bénédictines et des cisterciennes s’adressent à des publics variés dans leur composition sociale, leurs références culturelles et leurs aspirations[1]. Ces publics ne jouissent pas d’outils de compréhension égaux. Les destinataires des œuvres du corpus peuvent être identifiés grâce aux commanditaires et aux lieux d’exposition des représentations, lorsqu’ils sont connus.
Les religieuses et leur cercle, premiers publics des œuvres
Le public conventuel est évidemment le plus à même d’apprécier ces représentations car il partage les codes esthétiques et moraux pour observer et tirer un enseignement de ces images. En la matière, les commanditaires sont aussi les principaux destinataires.
Les bénédictines et les cisterciennes sont les destinataires de leurs propres représentations, à titre individuel et collectif. De plus, les images présentes dans les monastères de bénédictines et de cisterciennes sont visibles par d’autres personnes que les seules moniales. Les familiers de l’abbaye sont aussi destinataires comme le personnel laïc et ecclésiastique, les amis et les familles des moniales, les visiteurs de l’abbaye. Les œuvres de l’abbatiale sont aussi à destination des fidèles venus entendre messe et offices à l’abbaye. Les représentations des supérieures dans les couvents sont susceptibles d’être vues par les dames bienfaitrices qui ont leurs entrées à l’abbaye, les jeunes pensionnaires, les postulantes et les novices. Enfin, ces représentations à l’intérieur des abbayes sont visibles pour les supérieurs masculins de l’abbaye, évêque ou abbé, en charge de la visite.
Les autres publics visés
Les images commandées par des proches des religieuses sont évidemment à destination de ces mêmes proches, des amis et de la famille élargie des commanditaires.
La représentation peut être vue dans un bâtiment religieux ouvert, église ou lieu de pèlerinage. En ce cas, elle doit être fédératrice, pour attirer les regards et faciliter la compréhension des signes. C’est le cas des œuvres commandées par les paroisses. Les premiers destinataires de ces œuvres sont les paroissiens. Les représentations sont visibles par les fidèles de l’église et sont destinées aussi à l’ensemble de la population avoisinante.
Ces œuvres sont de même destinées aux ecclésiastiques de la paroisse, qui peuvent les utiliser pour organiser la pratique du culte, des processions, des actions de dévotion. Les images sont également visibles par les ecclésiastiques de passage comme les missionnaires ou les prêcheurs, ainsi que par l’évêque en visite dans son diocèse. Ce dernier, selon les directives tridentines, est le responsable des images de son diocèse : il est chargé de juger de leur pertinence et de leur conformité au culte catholique. Il approuve les représentations iconographiques ou les interdit.
L’image des religieuses bénédictines et cisterciennes, tant médiévales que modernes, est aussi à destination des protestants du royaume dans un but de conversion par l’exemple.
Posséder l’image : la révolution de la gravure
L’individu peut à présent posséder l’image. La technique de la gravure introduit ce changement fondamental dans le rapport entre le public et l’image : l’image imprimée devient reproductible. Les gravures peuvent être produites soit à la pièce, soit insérées dans un livre, ou en constituer le frontispice. Elles peuvent aussi être gravées en série. Généralement, la lettre de la gravure donne des indications de lecture de l’image, propageant dans le public des messages politiques ou religieux. Les gravures font partie du décor mobilier des intérieurs des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles[2]. Les rééditions de livres illustrés sont une marque de ce succès et d’une forte demande du public. Les gravures en feuilles volantes connaissent aussi des rééditions. Certaines représentations, dès lors qu’elles rencontrent le succès, sont réutilisées. C’est le cas pour une figure très emblématique : la mère Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal.
[1]- Sur l’accessibilité du public au monde de l’art et notamment son ouverture de plus en plus large : Histoire de l’art. 3. Temps modernes, XVe-XVIIIe siècles, Claude MIGNOT et Daniel RABREAU dir., 2ème édition, Paris, Flammarion, 2011.
[2]- Sur la gravure aux XVIIe et XVIIIe siècle : Marianne GRIVEL, Barbara BREJON DE LAVERGNEE, Peter FUHRING, Séverine LEPAPE et Véronique MEYER dir., L’Estampe au Grand Siècle. Études offertes à Maxime Préaud, Paris, École nationale des Chartes / Bibliothèque nationale de France, no 9, 2010, (coll. « Matériaux pour l’histoire »).