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Étude des artistes auteurs

Les auteurs des représentations de religieuses bénédictines et cisterciennes tout au long des XVIe, XVIIet XVIIIe siècles sont multiples. Ils sont issus de milieux divers et exercent dans des arts différents. Le corpus se partage presque de manière égale entre les œuvres dont l’auteur est connu et celles dont l’auteur est inconnu.

Des artistes plus ou moins proches des moniales

La production d’images de bénédictines et de cisterciennes n’est pas l’apanage d’un groupe particulier d’auteurs. Ce type de représentation intéresse autant les petits artisans locaux dont le nom ne nous est pas parvenu que les artistes les plus connus de leur époque. Parmi les auteurs connus, il se trouve surtout des peintres, des enlumineurs et des graveurs

La plupart des auteurs sont neutres par rapport aux religieuses. Mais d’autres sont plus proches des moniales qu’ils représentent. Il y a parmi eux des artistes plus ou moins « attitrés » à des monastères. Ces derniers répondent à des commandes ou se placent sous la protection d’abbesses. D’autres sont spécialisés dans la représentation de religieuses en général. Enfin, quelques artistes prennent parti et orientent leurs œuvres dans un sens favorable aux moniales, ce qui est le cas des artistes liés au jansénisme. 

Quelques artistes célèbres

Huit illustres artistes affichent une position nettement janséniste, tant dans leur production artistique que dans leur vie privée : Philippe de Champaigne et son neveu Jean-Baptiste de Champaigne, le duo constitué de Madeleine Boullogne et Louise-Madeleine Horthemels, les graveurs Jean Boulanger et Jean-Baptiste-Nicolas de Poilly, les peintres Jean Restout et Elisabeth-Sophie Chéron.

Au moins trois artistes du XVIe siècle peuvent être considérés comme des producteurs « attitrés » à des abbayes : Jean Bellegambe, Thomas Pot et Hubert Cailleau.

Plusieurs graveurs célèbres ont produit des séries de gravures portant sur des religieuses célèbres ou sur des costumes de différents ordres ou congrégations : Jacques Callot, Michel van Lochom, François de Poilly, Philippo Bonnani, Adriaan Schoonebeeck et Jacques Charles Rabelli-Bar.

Plusieurs graveurs et peintres se sont intéressés à la représentation d’abbesses célèbres : François Quesnel, Cornelius Galle l’Ancien, les graveurs de la famille Audran, Abraham Bosse, Pierre-Louis van Schuppen, Gérard Edelinck, Nicolas Habert, Jean Crépy, Pierre Gobert, Pierre Drevet et son fils, Etienne-Jehandier Desrochers et Angelica Kauffmann.

Trois artistes ont une visée satirique : Hans Holbein le jeune, Wenceslaus Hollar et Jacob Gole.

Artistes anonymes

De nombreuses œuvres sont d’auteur inconnu. Des artistes ou artisans locaux ont certainement répondu à de nombreuses commandes pour des couvents ou des églises paroissiales. Un nombre important de portraits d’abbesses, qui sont anonymes, ont peut-être été exécutés par des moniales du monastère ou par des artistes locaux. Certains supports sont fréquemment anonymes par nature comme les images révolutionnaires et la plupart des gravures illustrant des ouvrages littéraires.

Certains artistes graveurs ou peintres se sont inspirés d’œuvres connues, reprenant des motifs iconographiques célèbres de leur temps ou copiant les œuvres d’artistes prestigieux. Lorsqu’une œuvre plait et remporte un certain succès mondain ou religieux, d’autres personnalités désirent en avoir une copie et passent commande en ce sens à des artistes, à moins que les artistes ne copient spontanément des tableaux célèbres pour s’entrainer ou pour en retirer un profit commercial. C’est le cas pour les gravures et peintures reprenant les séries de Madeleine Horthemels et Madeleine Boullogne sur la vie à Port-Royal ou encore celles s’inspirant de la série sur Héloïse et Abélard de la peintre Angelica Kauffmann. On note aussi des copies des tableaux représentant les abbesses et religieuses de Port-Royal des Champs.

Quelques œuvres sont marquées par l’amateurisme de l’auteur, entérinant leur statut d’œuvres privées, réalisées par des particuliers qui n’ont d’autre but que leur dévotion personnelle. 

Les moniales artistes

Les moniales artistes sont représentées dans le corpus mais elles sont peu nombreuses. Dans son article sur les religieuses artistes, Philippe Bonnet a étudié des cas individuels chez les carmélites, les ursulines et les visitandines[1]. Il est probable que l’on puisse élargir sa réflexion initiale aux autres ordres religieux féminins à l’époque moderne et notamment aux bénédictines et aux cisterciennes[2]. Par exemple, la biographe de Marie Granger, religieuse bénédictine, rapporte son adresse aux travaux manuels. Elle note qu’elle « jetoit en cire, crayonnoit, illuminoit des images, travailloit en émaille ».Philippe Bonnet souligne que les supérieures de couvents cherchaient à attirer des postulantes douées de talents artistiques et notamment en peinture.  

Devenues religieuses, ces jeunes artistes garantissent le maintien de la clôture en limitant l’entrée d’ouvriers spécialisés et apportent à la communauté un gain financier substantiel, non seulement par les dépenses ainsi évitées mais aussi par la vente d’ouvrages à l’extérieur du monastère. Comme le montre Philippe Bonnet, les sœurs artistes transmettent leur savoir à leurs compagnes et forment des élèves. Dans le cas où l’entrée d’artistes extérieurs est néanmoins nécessaire, le choix se porte sur des religieux ou des maitres connus des moniales. C’est aussi l’occasion pour ces dernières d’observer et d’apprendre les savoir-faire qui leur font défaut.

 L’érudit et collectionneur François Roger de Gaignières

François Roger de Gaignières est un érudit et un collectionneur. Né le 30 décembre 1642, il meurt à Paris en 1715[3]. Il est le fils d’Aimé de Gaignières, secrétaire du duc de Bellegarde, et de Jacqueline de Blanchefort. François Roger de Gaignières est d’abord écuyer de Louis Joseph, duc de Guise, en 1671 puis au décès de ce dernier en 1675, de Marie de Guise qui le nomme gouverneur de sa principauté de Joinville en 1679. Dès sa jeunesse, François Roger de Gaignières se prend de passion pour les arts et l’Histoire. Il fait un voyage à la cour du Grand duc de Toscane, réside avec des artistes à l’Hôtel de Guise et commence à constituer une collection de documents originaux.

Il se met alors en tête de faire un « tour de France » des « Monuments historiques » de son époque. Dès 1687, il assemble une vaste collection de lettres, portraits, gravures et fait faire des copies et des dessins d’un grand nombre d’objets anciens, sceaux, tombeaux et pierres tombales, épitaphes, vitraux, miniatures, tapisseries. De 1693 à 1713, il se déplace lui-même en province, notamment à l’abbaye de Fontevraud pour effectuer des relevés des fresques de la salle capitulaire. Il est aidé dans cette tâche par deux auxiliaires à ses gages : Louis Boudan comme dessinateur et Barthélémy Remy comme valet et paléographe. Ils répertorient plus de 7500 lieux, objets et documents anciens, produisant des dessins dont certains ont été ensuite gravés.

A la mort de sa protectrice Marie de Guise, François Roger de Gaignières fait construire un hôtel particulier pour abriter ses collections. En 1703, il présente à Ponchartrain et au roi Louis XIV un projet de protection du patrimoine français avec la création d’un office royal chargé du recensement et de la protection des monuments. Mais rien n’aboutit. Malgré cela, François Roger de Gaignières veut faire œuvre de mémoire, dans le but de conserver ces « monuments » aux générations futures. Les dessins de François Roger de Gaignières sont très nombreux dans le corpus ; il en comporte quarante. Il s’agit surtout de relevés de pierres tombales, tombeaux, épitaphes, de relevés des fresques de la salle capitulaire de l’abbaye de Fontevraud et de quelques vitraux. 

Le 19 février 1711, François Roger de Gaignières fait don de l’ensemble de sa collection au roi mais en conserve l’usufruit et repousse des offres d’achat pour que sa collection reste en France. Un premier inventaire de la donation est fait par Pierre de Clairambault à cette occasion. Gaignières est ensuite soupçonné d’avoir conservé les plus belles pièces pour lui et fait l’objet d’une surveillance policière jusqu’à sa mort en 1715. Cependant, en 1717, la collection est scindée en trois. Une partie va à la Bibliothèque Royale, une autre est en dépôt aux Affaires étrangères, la troisième est vendue aux enchères[4]. Tout ce qui est jugé faire doublon avec les possessions du roi est vendu : les tableaux, les manuscrits originaux, les médailles, les porcelaines et plus de la moitié des livres. Pierre de Clairambault, généalogiste du roi en charge de la vente, s’adjuge une partie de la collection. 

 

 

 


[1]- Philippe BONNET, « La pratique des arts dans les couvents de femmes au XVIIe siècle », Bibliothèque de l'école des chartes, année 1989, volume 147, n° 147-1, p. 433-472.

[2]- Dom Yves CHAUSSY, o.s.b, Les Bénédictines et la Réforme catholique en France au XVIIe siècle. Documents et textes spirituels, Paris, édition de la Source, 1975, p. 298.

« Le portrait doit être l'œuvre d'une des moniales de l'abbaye. Il y a toujours eu à l'abbaye des Sœurs très douées pour le dessin, la peinture, l'enluminure. Le tableau a été réalisé, à coup sûr, dans notre première abbaye, (actuel hôpital de Valognes) dont nous avons été chassées lors de la Révolution. », Sœur Michèle-Marie (religieuse de l'abbaye Notre-Dame de Protection de Valognes).

[3]- Sur François Roger de Gaignières et sa collection : Henri BOUCHOT, Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gaignières et conservés aux départements des estampes et des manuscrits, tome 1, tome 2, Paris, Librairie Plon, 1891-1981.

Georges DUPLESSIS, « Inventaire des collections et testament de Roger de Gaignières (1716) », Nouvelles archives de l'art français : recueil de documents inédits, 1874, p. 265-302.

Clotilde ROMET, Le Collectionneur François-Roger de Gaignières (1642-1715) Biographie et méthodes de collection, Catalogue de ses manuscrits, École des Chartes, 2007. 

Anne RITZ-GUILBERT, cycle de conférences sur « La collection de François-Roger de Gaignières (XVIIe siècle) », présenté dans l’Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 143 | 2012, p. 220-221.

[4]- Actuellement, la collection Gaignières est conservée à la Bibliothèque Nationale de France et à la Bodleian library d’Oxford, pour sa majeure partie. Volée en 1784, la partie oxfordienne a été recopiée par Jules Frappaz pour la Bibliothèque Nationale de France, permettant de reconstituer une collection quasi complète pour la BNF.